L’histoire des Trottoirs
Sous nos pas, elles sont partout. Elles sont des centaines, des milliers, des centaines de milliers à fermer une porte vers les entrailles de nos villes, à cacher des câbles et des canalisations. Piétinées, sales et humides, les plaques en fonte qui jalonnent les trottoirs sont méprisées et ignorées. Peu de passants ne les remarquent, s’arrêtent pour observer leur esthétisme, leur graphisme, leurs détails qui, souvent, racontent l’histoire de la ville.
A l’été 2020, quatre ans après avoir ouvert mon compte Instagram @lestrottoirs et photographié des centaines d’oeuvres volontaires ou non que je trouvais au sol, j’ai eu envie d’intervenir moi-même dans la rue. Je me suis mise à mettre en valeur ces fragments de l’espace urbain en les parant de couleurs. Pour leur donner un nouvel éclat, sublimer leurs motifs, les rendre visibles et en faire un support artistique original pour interpeller les passants.
Mon objectif est d’apporter de la couleur dans la grisaille urbaine, montrer que les trottoirs recèlent des pépites. Une incitation à regarder autrement son environnement, à prendre le temps de scruter les petits détails qui jaillissent de la rue, à ralentir et à montrer que la beauté se cache parfois dans les lieux les plus improbables.
Sur le métal, la peinture glisse, elle brille. Les plaques s’illuminent le temps de quelques semaines ou quelques mois. Une démarche volontairement éphémère qui s’estompe progressivement sous les pas des piétons. Assise sur le trottoir, je questionne notre rapport à l’espace urbain de proximité, au sol que l’on foule tous les jours.
Parent pauvre des politiques d’urbanisme, le trottoir est souvent encombré, détourné de sa fonction originelle. En m’y installant un long moment, j’en reprends possession. Ma position physique suscite l’étonnement et l’interrogation des passants et me permet de recréer un lien, du moins un contact, avec les habitants d’un quartier.
Descendante d’une famille de fondeurs lyonnais, je mêle à cette démarche créative une dimension patrimoniale qui vise à valoriser l’héritage des grandes fonderies françaises. Ce projet se poursuit aujourd’hui en atelier où je transforme ces morceaux de l’histoire industrielle en œuvres artistiques. Une manière de les inscrire dans un temps long et de les détourner à mon tour de leur usage premier.
Les prémices de ce projet remontent au 8 mars 2016. Expatriée quelques mois au Liban, je passais beaucoup de temps à me promener dans Beyrouth. La transformation de cette ville bouillonnante m'a toujours fascinée et au-delà des murs et des façades qui racontent tant de choses sur l'histoire de ce pays, mes yeux se sont posés sur le sol qui lui aussi témoigne de son passé et de sa modernisation.
Alors que je marchais dans le quartier d'Achrafieh, j'ai été interpellée par un trottoir en carrelage jaune et rouge tout craquelé qui avait été consolidé avec du ciment. C'est ma première photo. Les semaines suivantes, j'ai continué à photographier des trottoirs symboliques ou simplement graphiques avec toujours comme signature, le bout de mes chaussures.
De retour en France, si je n'avais jamais vraiment prêté attention aux trottoirs parisiens, il ne m'a suffit que de quelques balades pour m’apercevoir qu’ils étaient investis par une multitude d’artistes sous forme de pochoirs, de dessins à la craie et à la peinture, de mosaïques... Et l'idée d'un compte Instagram, sobrement baptisé @lestrottoirs, m'est venue.